Des accusations de justice politique
Marine Le Pen n’a pas hésité à qualifier ce jugement de « décision politique » et à accuser le tribunal correctionnel de Paris de « l’empêcher de pouvoir être élue présidente de la République. »
De prévenue, elle se présente en « cible politique ». Il s’agit du retour au thème de la souveraineté populaire contre le gouvernement des juges, résumée par la citation du général de Gaulle : « la cour suprême, c’est le peuple ».
Une offensive politique contre l’indépendance judiciaire
La virulente attaque des juges orchestrée par son camp s’inscrit dans une offensive visant à intimider le pouvoir judiciaire pour obtenir gain de cause d’ici à la présidentielle.
« S’il n’y a pas d’exécution provisoire et qu’elle peut se présenter devant les Français, même en étant condamnée (en appel), elle se présentera devant les Français », a exposé, mercredi 2 avril sur France Inter, Sébastien Chenu, le porte-parole du RN.
Le président du RN a appelé les « Français à s’indigner ».
Un air de trumpisme en France
Ce jusqu’au-boutisme, teinté de déni, semble s’inspirer du modèle trumpien qui vise à dénoncer, par une partie toujours plus large du personnel politique, les magistrats et à attaquer l’État de droit et la séparation des pouvoirs.
Dans cette même logique, l’actuel ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, a dénoncé début 2025 la juridiction administrative lorsqu’elle a suspendu sa décision d’éloigner du territoire français un influenceur algérien. Le ministre avait erronément choisi d’utiliser la procédure d’expulsion en urgence absolue, là où seule une procédure ordinaire pouvait légalement être employée.
Un discours dangereux pour la démocratie
Comment tolérer la critique affirmant que des juges indépendants seraient politisés et fracasseraient le pacte démocratique par l’exercice même de la fonction de juger ?
Cette affirmation tombe sous le coup de l’article 434-25 du Code pénal, qui réprime notamment de six mois d’emprisonnement « le fait de chercher à jeter le discrédit… sur un acte ou une décision juridictionnelle, dans des conditions de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance. »
Une escalade sur les réseaux sociaux
La ligne rouge a été également allègrement franchie sur les réseaux sociaux, où la présidente du tribunal correctionnel, Bénédicte de Perthuis, a été la cible de l’extrême droite, subissant insultes et menaces. Des photos d’elle ont été publiées et détournées, et son adresse personnelle a été diffusée.
Une affaire de fonds publics et d’éthique politique
Pourtant, la condamnation porte sur le détournement de 4 millions d’euros du Parlement européen pendant douze ans au bénéfice d’un parti politique.
Dans sa décision du 28 mars 2025, le Conseil constitutionnel a reconnu la constitutionnalité de l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité, laquelle contribue à « renforcer l’exigence de probité et d’exemplarité des élus et la confiance des électeurs », conformément à la volonté du Parlement.
Une exigence prévue par la loi
La loi Sapin 2 (8 décembre 2016) et celle « pour la confiance dans la vie politique » (15 septembre 2017) rendent obligatoire une peine complémentaire d’inéligibilité dans le cas d’atteinte à la probité.
Une indignation à géométrie variable
Rappelons qu’une partie de nos représentants politiques déplorent un prétendu laxisme de la justice pénale, cherchent à augmenter le nombre de places en prison… mais opèrent un brutal revirement dès qu’il s’agit de leurs intérêts personnels.
Outre l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité, la critique des élus du RN porte également sur « l’impératif de sauvegarde de l’ordre public ».
« Le tribunal, écrivent les magistrats, prend en considération (…) le trouble majeur à l’ordre public démocratique qu’engendrerait (…) le fait que soit candidate, par exemple et notamment à l’élection présidentielle, voire élue, une personne qui aurait déjà été condamnée en première instance, notamment à une peine complémentaire d’inéligibilité, pour des faits de détournements de fonds publics. »
Une tentative de décrédibilisation des institutions
La lecture du jugement est également instructive en ce qu’elle met en lumière le comportement des prévenus qui ont d’une part, systématiquement nié l’évidence, et d’autre part, centré leur défense sur l’idée d’une immunité politique.
La première flèche vient de la prévenue, qui a dénoncé « l’ingérence de ces magistrats dans le processus électoral suprême qui est celui de l’élection présidentielle, voilà où est le trouble à l’ordre public. »
Un soutien venu des États-Unis
Le soutien à Marine Le Pen a pris une autre dimension avec la déclaration de Donald Trump :
« Je ne connais pas Marine Le Pen mais je suis sensible au fait qu’elle travaille dur depuis tant d’années »
« Elle a essuyé des échecs, mais elle a continué, et, maintenant, juste avant ce qui serait une Grande Victoire, ils s’en prennent à elle sur une accusation mineure dont elle ne savait probablement rien, cela ressemble pour moi à une erreur. »
Il considère qu’elle est victime « d’une chasse aux sorcières » par des « gauchistes européens qui se servent de l’arme judiciaire pour faire taire la liberté d’expression. »
Défendre la justice, pilier de l’État de droit
Ces critiques passent sous silence que l’audience est la suite d’une instance de plusieurs années, et que les trois juges qui ont rendu cette décision collégiale ont longuement délibéré et rendu une décision nécessairement motivée.
Le magistrat qui rend la justice au nom du peuple, et qui subit désormais insultes et menaces pour appliquer les règles votées par le pouvoir législatif, est plus que jamais le symbole de la remise en cause du respect de l’État de droit et de la séparation des pouvoirs.
Le respect de la chose jugée constitue pourtant l’un des fondements des démocraties. Il n’empêche d’ailleurs pas la contestation d’une décision par le jeu ordinaire des procédures d’appel.
Le danger d’ébranler les fondements démocratiques
S’attaquer à cette première pierre, c’est prendre le risque – à moins que cela soit l’objectif – de mettre en péril l’édifice, alors que, selon la formule de Montesquieu :
« Pour qu’on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. »
C’est bien le législateur qui a édicté ces peines fortes d’inéligibilité, et c’est lui aussi qui a introduit une exception au principe de l’effet suspensif de l’appel, en ouvrant la possibilité d’une exécution immédiate d’un jugement.
N’est-ce pas au Parlement plutôt qu’aux juges qu’il faudrait alors s’en prendre ?